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Einstein, Albert
Albert Einstein est assurément le scientifique le plus médiatisé du XXe siècle, et même une des « stars » les plus photographiées, toutes disciplines confondues. La figure du célèbre physicien se retrouve sur un nombre incalculable d’affiches, de t-shirts, de cartes postales, sans compter publicités et timbres-poste. Né en Allemagne en 1879, il sera successivement physicien allemand, puis suisse, et enfin américain, lorsqu’il se réfugiera aux États-Unis pour fuir le nazisme. Le mythe qui l’entoure se développe vraiment après la Première Guerre mondiale quand il sert d’ambassadeur pour l’Allemagne, qui a bien besoin de redorer son image, et entreprend des tournées mondiales. On peut dire cependant qu’il prend sa source en 1905. Jeune employé du bureau des brevets à Berne, il écrit dans ses temps libres, au cours de cette année, quatre articles qui posent les fondements de la physique moderne (relativité, fondation de la physique quantique à partir de l’effet photoélectrique, contribution à la physique statistique à partir de l’étude du mouvement brownien). Ce n'est qu'en 1921 qu'on lui décerne finalement le prix Nobel de physique pour sa découverte de la loi de l'effet photoélectrique.
Le mythe se nourrit de son absence de convenances (l’absence fréquente de chaussettes, les cheveux longs, la grimace aux journalistes immortalisée par une photo reproduite jusqu’à plus soif), de son pacifisme, de ses contradictions affichées sans gêne (le scientifique qui se réfère parfois à Dieu, par exemple). L’image du savant solitaire se double de celle du « self-made man intellectuel ». S’adaptant difficilement au système scolaire de son époque, on affirmera longtemps qu’Einstein avait des notes médiocres, sur la foi d’une célèbre phrase d’un de ses professeurs : « Vous n’arriverez jamais à rien ». Cependant, il s’agissait d’un professeur de grec et il est vrai qu’en cette matière Einstein avait de mauvais résultats et… n’est parvenu à rien. Pour le reste, ses notes étaient excellentes. Il reste que la figure du brillant incompris, supportant mal la discipline et parvenant à triompher des embûches, aura accompagné Einstein une bonne partie de sa vie. Dans son cas, le chercheur scientifique semble avoir conservé quelque chose de l’ancien savant, perdu dans son travail et sa pile de documents, dont il sort parfois avec une idée géniale. Alors qu’elle passe au stade industriel, la science se voit symbolisée par un homme qui présente les caractères mêmes qu’elle est en train de perdre, amplifiant la dimension romantique du personnage.
Le travail d’Einstein a marqué l’imagination populaire parce qu’il concerne deux concepts qui touchent directement chaque individu : l’espace et le temps. En proposant une nouvelle lecture de l’espace-temps, il a ouvert une nouvelle voie à l’imaginaire contemporain, tout en provoquant, bien malgré lui, de nombreux malentendus. On a récupéré de manière sauvage — c’est-à-dire en s’en servant d’une manière aberrante qui ne respecte pas du tout la théorie de la relativité — la célèbre formule « Tout est relatif » (« Tout est relatif, comme disait Albert »), parce qu’elle donnait l’impression de faire comprendre facilement quelque chose d’éminemment scientifique, alors que cette affirmation constitue plutôt un contresens de la théorie. La théorie de la relativité apparaît assez mal nommée, puisque son rôle consiste plutôt à dégager des propriétés physiques invariantes et absolues, indépendantes du référentiel.
On pourrait avancer que le physicien possédait le sens de la formule à un double titre. Formule dans son acception scientifique au premier chef, bien sûr. Avec E=mc2 (l’énergie est égale à la masse multipliée par la vitesse de la lumière au carré), Einstein a assurément proposé la formule la plus célèbre de l’histoire de la physique.
Mais on pourrait aussi l’entendre dans une acception rhétorique. Quand Einstein répondit, pour ne citer qu’un exemple, à la question « Que pensez-vous de la culture américaine? » en soulignant que ce serait une bonne idée d’y penser, il démontrait un étonnant sens de la répartie. De même, si sa résistance à la physique quantique avait des fondements scientifiques (qui se sont révélés erronés), c’est surtout sa phrase selon laquelle « Dieu ne joue pas aux dés » qu’on a retenue. Einstein est celui qui fait mouche avec les chiffres, mais également avec les formules-chocs ou séduisantes : « Une fois atteint un certain degré de technicité, la science et l’art tendent à se fondre dans l’esthétique, la plasticité et la forme »; « La science stagnera si on la met au service d’objectifs pratiques »; « Toute la science n’est qu’un raffinement de la pensée de tous les jours. »
Albert Einstein sera toujours opposé aux guerres (sauf lors de la Seconde Guerre mondiale, la réaction au nazisme lui semblant tout à fait justifiée). L’explosion de la bombe atomique décuplera sa profession de foi pacifiste et le transformera, au cours des dix dernières années de sa vie, jusqu’en 1955, en mauvaise conscience de l’Occident. Injustement associé à la bombe (il n’a pas participé à sa mise au point, mais a cosigné une lettre adressée au président des États-Unis suggérant son développement pour contrecarrer « l’arme secrète » nazie), il continuera, jusqu’à son dernier souffle, à s’opposer aux armes nucléaires. Einstein aura été toute sa vie à la fois au cœur de l’institution scientifique et sa plus célèbre figure dissidente.
Pour une liste très complète des sites web qui concernent d'Albert Einstein (sous tous les angles), consultez le site Albert Einstein Online.