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Newton, Isaac
Le savant anglais Isaac Newton, qui accumula les découvertes en physique et en mathématiques aussi bien qu’en optique, est peut-être la figure la plus mythique de l’histoire des sciences. Véritable métonymie du progrès au cours du XVIIIe siècle, il deviendra également une grande figure romantique au siècle suivant. Les célèbres vers d’Alexander Pope – « Dieu dit : que Newton soit/Et tout fut lumière » – indiquent bien l’ampleur prophétique qu’on accorde au personnage. Comme si cela ne suffisait pas, l’anagramme de son nom donne « Creation was sin » (« la création fut un péché »), le plaçant en véritable opposant (et en égal) de Dieu, lui qui fut déifié en Angleterre de son vivant, après la publication des Principia en 1684, véritable bible de la physique moderne. Les opposants sur le continent se trouvèrent plus nombreux, que ce soit les défenseurs de Leibniz (qui revendiquait, comme Newton, l’invention du calcul infinitésimal) ou de Descartes (sur le plan scientifique, Newton fut un anticartésien acharné et l’histoire lui donna raison).
Solitaire, austère, colérique, vindicatif (des savants aussi importants que Leibniz et Hooke l’apprendront à leurs dépends), il n’aura jamais fait d’efforts particuliers pour se faire comprendre, le rôle de pédagogue lui seyant assez mal. Sa nièce Catherine Conduitt sera peut-être la seule personne à l’égard de qui il aura de véritables sentiments et c’est pour elle, selon la plupart des biographes contemporains, qu’il utilisera la fameuse image de la pomme qui tombe de l’arbre pour expliquer le principe de la gravitation. L’histoire selon laquelle Newton lui-même aurait vu une pomme tomber au sol, événement provoquant chez lui la compréhension du phénomène gravitationnel, serait donc une légende.
On ne peut imaginer couple plus étonnant que celui du vieux savant irascible, mort vierge à 85 ans et qui, au cours d’une dépression nerveuse en 1692, accusa ses (rares) amis de tenter de mettre des femmes dans son lit, et cette jeune nièce qui multipliait les amants à Londres, et non des moindres – l’écrivain Jonathan Swift et le ministre Halifax, par exemple.
Newton, fils de fermier, naît en 1642, l’année même de la mort de Galilée. Selon le biographe Richard Westfall, alors qu’il n’est qu’au début de la vingtaine, Newton a déjà assimilé tout ce qu’il est possible de savoir des mathématiques à l’époque et ses travaux en font alors un des plus grands, sinon le plus grand mathématicien européen… et personne ne le sait encore.
Parmi ses nombreuses découvertes, dont la liste est inépuisable, la théorie de la gravitation universelle est centrale. Newton apparaît à travers elle comme l’homme qui a réussi à expliquer et à schématiser l’univers par quelques formules claires, fondant ainsi, à sa manière, les bases de l’idéologie du progrès.
Pourtant, cette figure de la raison, acclamée par les partisans des Lumières en France aussi bien que par ceux de l’Aufklärung en Allemagne, s’avéra également, toute sa vie, un alchimiste acharné, féru de recherches ésotériques. C’est au cours d’une vente aux enchères, dans les années 1930, que la célèbre « malle de Newton », achetée par le non moins célèbre économiste John Maynard Keynes, révéla ses trésors délétères. On constata alors que la masse des travaux d’alchimie et d’exégèse biblique de Newton équivalait quantitativement à l’importance de ses recherches scientifiques. Si cette découverte provoqua assurément un malaise dans les milieux savants, elle complexifia la figure d’un individu pourtant déjà passablement énigmatique.
De nombreuses anecdotes font de lui la caricature du scientifique distrait, perdu dans l’univers et dans ses recherches. Et pourtant, devenu homme politique en vue, nommé directeur de la Monnaie de Londres, il pourchasse de manière implacable les faux-monnayeurs, plus zélé que le plus zélé des enquêteurs de la police. Appelé à la présidence de la Royal Society, non seulement il occupa son poste avec une rigueur qui l’oppose à tous les professeurs Tournesol de la planète, mais il y fit même régner la terreur, s’attaquant avec véhémence à ceux qui osaient remettre en question ses décisions. Ce qui ne l’empêcha pas d’être apprécié en général par les membres de la Société. Et il pouvait aussi, étrangement, compte tenu de son caractère, se montrer généreux. De plus, cet homme qui passa des années à s’intéresser à la Bible refusa lors des journées où il agonisa, en 1727, de recevoir les sacrements de l’Église.
La mort de Newton provoqua un torrent d’hyperboles dans la presse et dans tous les milieux. Malgré son aspect caricatural, devant lequel on peut à bon droit être sceptique, la formule du « génie solitaire » est sans doute celle qui résume le mieux l’existence de ce scientifique hors du commun.