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Galilei, Galileo
Galileo Galilei (Galilée) est assurément une des figures les plus connues, et parmi les plus marquantes, de l’histoire des sciences. Il faudrait bien des pages pour cerner cette personnalité extrêmement forte, ce personnage souvent imbu de lui-même, mais sensible, brillant, imaginatif, dont la réputation est extrêmement importante dès le début du XVIIe siècle.
Né en Toscane (à Pise) en 1564 d’une famille modeste et très cultivée, il abandonne les études de médecine dont son père rêve pour lui, préférant se tourner vers les mathématiques (une discipline considérée parmi les moins importantes du cursus universitaire à la fin du XVIe siècle). Il enseigne d’abord à Pise quelques années, puis pendant 18 ans à Padoue, à partir de 1592, obtenant la chaire de mathématiques que Giordano Bruno avait demandée avant lui, sans succès. C’est vers la fin de ce séjour qu’il utilise le télescope – dont il ne peut revendiquer l’invention, contrairement à la rumeur qui circule à l’époque. Cependant, il l’a effectivement fort amélioré, ce qui lui permettra de faire des découvertes capitales, notamment en modifiant la perception qui existe alors de la surface de la Lune et en découvrant les quatre satellites de Jupiter. Grâce à ces succès, il devient le protégé du grand-duc de Toscane, Cosme II de Médicis. C’est à ce moment, autour de 1610, que sa réputation commence vraiment à se répandre à travers l’Italie puis l’Europe entière.
Galilée aura commis dans sa vie un certain nombre d’erreurs. La plus spectaculaire étant sans doute de se demander comment un grand esprit scientifique comme Kepler avait pu proposer quelque chose d’aussi absurdement ésotérique que l’idée selon laquelle la Lune influençait les marées… S’il avait parfaitement imaginé le mouvement de la Terre, il n’en a jamais proposé de preuves solides. Certains (Kepler, pour reprendre cet exemple d’un de ces contemporains) ont peut-être été plus importants du strict point de vue des connaissances scientifiques. Et pourtant, Galilée reste un des noms, sinon le nom le plus notoire de l’histoire des sciences modernes. De manière extrêmement schématique, on peut l’expliquer par deux raisons.
La première, sûrement la plus déterminante, tient à ce que Galilée était également un grand écrivain et un grand artiste, attitudes qui influeront sur sa conception des sciences. Parce qu’il possède un regard d’artiste, il perçoit les reliefs de la Lune et parvient à les dessiner pour en donner un bon aperçu; parce qu’il connaît la musique, sa mesure du temps l’aidera à mettre au point la loi sur la chute des corps; parce qu’il est un remarquable écrivain, surtout, ses textes parviennent, grâce à leurs qualités imaginatives et descriptives, à emporter l’adhésion du lecteur. Et c’est grâce à cette écriture remarquable d’efficacité qu’il explique comment la science devrait être perçue. En ce sens, on peut bel et bien parler d’une coupure galiléenne : à travers les écrits de Galilée naît la science moderne. Il fonde la physique telle qu’on la conçoit encore aujourd’hui – on a pu parler, à propos de son Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, publié en 1632, du premier et du plus célèbre des livres de physique. Le recours à l’expérimentation active (au détriment d’une observation passive) s’allie à une conception neuve des mathématiques, comme moyen de comprendre la nature. Ajoutons qu’il est parmi les premiers à faire preuve d’un réel scepticisme devant l’astrologie.
C’est dans L’essayeur, en 1616, un chef-d’œuvre de l’art polémique, qu’il développe une réflexion sur l’écriture mathématique du livre de l’univers. Ainsi, on peut sans nul doute avancer qu’avec Galilée naît une nouvelle science expérimentale, inséparable d’une culture qui se nourrit aussi bien de la littérature (il a clairement pris parti dans la controverse opposant l’Arioste et Le Tasse), de la peinture que de la musique.
La deuxième raison qui explique la place qu’on lui accorde, d’une grande importance institutionnelle, tient au combat qui a opposé Galilée à l’Église catholique. Il a tenté, dans un premier temps, et de bonne foi, de convaincre les théologiens qu’on ne pouvait pas prendre la Bible au pied de la lettre pour comprendre la nature. Notamment, il voulait démontrer que les textes sacrés n’expliquaient en rien que le Soleil tournait autour de la Terre. Fatale erreur, comme ont dit bien des commentateurs, inconscience, naïveté ou suffisance, selon les interprétations : les théologiens de Rome n’avaient aucune envie de s’en laisser imposer et de voir les dogmes remis en question par un « amateur ». En 1616, la doctrine de Copernic est formellement interdite et le cardinal Bellarmin (celui-là même qui a condamné Bruno 16 ans plus tôt) en instruit Galilée personnellement. Mais en 1623, le cardinal Barberini, un ami du physicien, devient pape sous le nom d’Urbain VIII. Dès lors, Galilée (et ses amis) croit à un assouplissement de la loi. C’est dans ce contexte qu’il fait paraître, après plusieurs années de travail, le Dialogue sur les deux grands systèmes du monde, rapidement reçu comme une attaque contre le système aristotélicien et ptoléméique. Il doit se rendre à Rome pour subir un procès et se voit condamner à abjurer (mais la phrase « et pourtant, elle tourne » qu’il aurait prononcée à ce moment est apocryphe et fait partie de la légende). Dès lors, les scientifiques européens font attention, partant du principe que si l’Église a osé attaquer Galilée, personne n’est à l’abri. La science ne sera plus la même.
Comment doit-on évaluer l’abjuration de Galilée? Là aussi, les interprétations ne manquent pas. En résidence surveillée pendant les dernières années de sa vie, près de Florence, il aura eu le temps d’écrire un autre livre considéré par plusieurs comme son plus important sur le plan scientifique, les Discorsi sur les mathématiques, avant de mourir, aveugle – ironie pour celui qui a tant fait pour qu’on voie les étoiles – en 1642. Si par orgueil ou par principe il avait refusé d’abjurer, il n’aurait pas pu écrire ce livre.
Encore aujourd’hui, l’Église catholique reste réticente devant cet épisode. Bien que, dans une déclaration solennelle dans le cadre du 350e anniversaire du procès, Jean-Paul II ait donné raison à Galilée (chacun sera heureux d’apprendre que pour le Vatican la Terre tourne autour du Soleil), il lui a quand même reproché de ne pas avoir écouté Bellarmin. Autrement dit, il avait raison, mais aurait dû se taire, même si l’Église avait tort. Inutile de préciser que le débat est loin d’être terminé.