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Le commun des mortels ne connaît des sciences que les résultats. Or, la fiction qui met en scène le savant et son langage s’intéresse généralement au processus par lequel la pensée s’invente. Celle-ci fonctionne à la fois grâce à l'intuition, à l'imagination, à l'expérience, à la connaissance et au désir, ces éléments étant indissociables du contexte social dans lequel baigne l'individu. En en faisant dans les meilleurs cas un processus de réflexion, une pensée qui s’invente et qui participe de manière dynamique aux modifications de notre connaissance du monde et de notre questionnement sur lui, la littérature montre à quel point le discours scientifique marque l’ensemble de la population et non plus seulement les spécialistes, et en quoi il s’inscrit de plain-pied dans la culture qui se fait.
Les « fictions scientifiques » qui ont toujours intéressé le Sélectif, cherchent à rendre compte des modifications de la conscience, des perceptions produites par ce que les sciences révèlent du monde; elles interrogent les possibilités et les effets de la connaissance scientifique à travers les états du langage, sa logique, ses contraintes, ses limites; elles utilisent les développements de la recherche scientifique pour les besoins de la fiction. Comment, en évitant le didactisme, peut-on « fictionnaliser » les savoirs que proposent les sciences et les modes de cognition qui lui sont propres ? La fiction peut-elle proposer plus (ou autrement) que la vulgarisation scientifique? Peut-elle parvenir à être autre chose qu’un « faire-valoir » de la science, se poser comme fiction littéraire et « récupérer » la science pour ses besoins? Voilà quelques-unes des questions centrales qui déterminent aujourd’hui nos travaux.
Actualités
La poésie scientifique, qui chantait les savoirs et les découvertes, connaît un apogée de la fin des Lumières au début du 19e siècle, puis s’étiole pour disparaître vers 1900. Ce phénomène, qui a touché l’ensemble de la culture occidentale, ne correspond pas seulement à la mort d’un genre littéraire majeur et très ancien ; il éclaire la manière dont la littérature et les sciences ont reconfiguré leurs frontières respectives, en acquérant leur extension moderne. Or les modalités de cette disparition restent mal connues : ce colloque international réunira pour la première fois une quarantaine de spécialistes de la poésie et des sciences, pour tenter de mieux cerner les facteurs de cette évolution et sa chronologie, en France et en Europe plus particulièrement.
Cliquez sur le lien pour accéder au programme du colloque.
Admission : 50 $ (25 $ étudiants).
Nous soulignons la conférence de Jean-François Chassay, vendredi le 17 septembre à 16h55 : « Un spectre menaçant : Los Alamos et la poésie de la bombe nucléaire ».
Peu de sujets auront été aussi prégnants dans l’imaginaire de la deuxième moitié du XXe siècle que la bombe nucléaire. Les bombardements à Hiroshima et Nagasaki, les 6 et 9 août 1945, auront été le point de départ de manifestations qui ont embrassé l’ensemble du discours social sous les formes les plus diverses. Cette communication s’intéressera à la manière dont la poésie a cherché à traduire les craintes et les tensions provoquées par l’arme nucléaire. De poèmes sur Robert Oppenheimer et Albert Einstein au rôle joué par la Beat Generation (Ginsberg, Corso), en passant par ceux du physicien Ben Porter (qui a abandonné la physique à cause de l’explosion de la bombe), les exemples sont nombreux et il s’agira de proposer une ou deux analyses singulières après avoir présenté brièvement un survol du sujet.
L'anthologie L'imaginaire de l'être artificiel préparée par Jean-François Chassay vient de paraître dans la collection Approches de l'imaginaire aux PUQ. Elle comporte une sélection de textes de Annie Amartin-Serin, Bernard Andrieu, Jean-Claude Beaune, Jean-Michel Besnier, Roger Bozzetto, Philippe Breton, Maxime Coulombe, Ollivier Dyens, Michel Faucheux, Sheryl N. Hamilton, Bertrand Jordan, Pascal Picq, Michel Pierssens, Michel de Pracontal et James Watson.
Au début des années 1980, Jean-François Lyotard proclamait la fin des grands récits. Il en existe au moins un qui perdure encore. Il s’agit de la volonté, persistante chez l’espèce humaine, de créer un être à son image. Curiosité intellectuelle et scientifique s’interdisant d’imposer des frontières au savoir, fantasme de volonté de puissance visant à prendre la place de Dieu, fascination pour la figure du double : ces questions traversent ce qu’on pourrait nommer l’imaginaire de l’être artificiel. Cet imaginaire joue un rôle central dans la fiction, mais aussi dans le discours social, provoquant des espoirs exaltants aussi bien que des craintes nombreuses. À partir d’une série de textes issus de différentes disciplines, cette anthologie aborde une question riche : comment s’élabore ce grand mythe qui traverse notre culture et consiste, du golem jusqu’aux créations virtuelles, des automates du XVIIIe siècle aux ordinateurs contemporains, à vouloir fabriquer un être artificiel capable de réfléchir, à l’image de l’être humain ? De l’Antiquité aux théories contemporaines portant sur « l’intelligence artificielle » et « l’être informationnel », sa présence est constante et conserve toujours un puissant pouvoir d’évocation. Intéressants à plus d’un titre, ces récits sur les créatures artificielles – qui traversent la fiction littéraire comme la science, la politique comme la théologie, la philosophie comme l’art – permettent de réfléchir sur la définition même de l’être humain. On pourrait ainsi dire que ces êtres modelés à l’image de l’Homme servent de miroir et viennent déstabiliser, par le biais de la technologie, la définition du Sujet. Créés sur le mode de l’imitation, ils obligent en retour l’individu à se repenser. Des automates forgés par Hephaïstos dans la mythologie jusqu’aux contours flous du clone que pourrait produire la génétique contemporaine : l’ouvrage remonte le cours d’une longue histoire.
En janvier dernier, paraissait le tout nouveau roman de Jean-François Chassay aux éditions Boréal, Sous Pression.
Un ami se présente à vous en déclarant qu’il a pris la décision de se suicider à minuit, le jour-même. Voilà votre ultime chance d’aller au bout. De l’amitié et des devoirs qu’elle vous impose. Au bout des raisons qui font que vous avez choisi de ne pas vous tuer et de continuer à vivre. Au bout de ce que la parole est capable d’exprimer.
À partir de cette prémisse extrême, Jean-François Chassay compose un roman à la fois ludique et désespéré.
« Et le voilà maintenant de nouveau seul.
« A-t-il appris quelque chose ?
« Que le temps passe aux yeux des humains parfois trop vite et parfois trop lentement. Il le savait déjà. Aussi bien qu’il a conscience que la pluie mouille. Et qu’on n’a pas à être croyant pour sentir l’Apocalypse. Il ne peut garantir cependant ce qui se déroule entre le tic et le tac d’une seconde. Si on peut se glisser entre les deux, s’y lover et attendre, éternellement au besoin. Une solitude qui irait jusqu’ à la perte de conscience. Tic et Tac. À minuit, le changement surviendra, nous serons après le tac. »
D’où venons-nous? Que sommes-nous? Où allons-nous? Trois questions qui alimentent depuis toujours les arts, la philosophie, les sciences. Au carrefour, les « fictions scientifiques » explorent certaines réponses qui se condensent autour de deux icônes des temps modernes : le singe et le gène. À partir du moment où l’être humain est le fruit du hasard de l’évolution, puis peut se modifier jusque dans ses composantes essentielles, c’est le cœur même de son identité qui se fissure.
Ce cahier de recherche se présente en deux parties : la première, « Protohumains et hybrides », amorce une réflexion sur l’humain et ses origines, la façon de le figurer dans son rapport à l’animalité, dans l’hybridité de ses formes fictionnelles; puis la seconde, « Posthumains et cyborgs », s’intéresse à l’autre extrémité de la chaîne évolutive, celle du gène manipulé, de l’intelligence artificielle. Au final s’amorce une véritable réflexion sur les frontières de l’espèce.
Avec des textes d’Elaine Després, Marie-Noëlle Aubertin, Julien Chevrier, Vicky Pelletier, Marc Ross Gaudreault, Simon St-Onge, David Bergeron.
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Le 20 mai prochain parraîtra en librairie le tout nouvel essai de Jean-François Chassay intitulé Si la science m'était contée: des savants en littérature, produit dans le cadre des activités du Sélectif et l'aboutissement du projet de recherche sur sept figures importantes de scientifiques telles qu'elles sont représentées dans la culture (littérature, mais aussi cinéma, photographie, etc.). Publié dans la collection Science ouverte (dirigé par Jean-Marc Lévy-Leblond) au Seuil, cet essai s'attarde aux figures de Giordano Bruno, Galileo Galilei, Isaac Newton, Charles Darwin, Marie Curie, Albert Einstein et J. Robert Oppenheimer. Pour plus d'informations, consulter la fiche dédiée au livre sur le site de Dimédia.