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Darwin, Charles
Les travaux de Charles Darwin ont provoqué, avec la publication de L’origine des espèces en 1859, la première grande crise entre l’Église et le monde scientifique depuis le procès de Galilée en 1633. Largement commentées et amendées depuis lors (on parle alors de « néodarwinisme »), ses hypothèses sur la naissance et le développement des espèces n’en restent pas moins valides pour l’essentiel, malgré le combat incessant des Créationnistes contre son œuvre. Aux États-Unis en particulier, le mouvement créationniste (qu’il serait plus juste de qualifier de secte), très puissant, se bat avec acharnement pour que la conception biblique de la nature soit enseignée à côté (sinon avant) la théorie de l’évolution. En ce sens, bien malgré lui, Charles Darwin apparaît comme le symbole du combat contre l’obscurantisme religieux.
Petit-fils d’Erasmus Darwin, médecin et écrivain célèbre qui publia de la poésie botanique (!), Charles Darwin naît dans une famille bourgeoise de l’Angleterre en 1802. Étudiant paresseux et assez moyen, il abandonne des études de médecine, entreprises à Édimbourg, qui l’ennuient à mourir, pour se tourner vers la théologie. Peu pressé de commencer sa carrière de pasteur, il embarque en 1831 sur un bateau, le Beagle, non pas comme naturaliste au départ, mais d’abord comme gentilhomme de compagnie du capitaine.
Ce voyage, qui durera cinq ans, se révèle le moment charnière de sa vie. Lorsqu’il revient à Londres, il écrit des livres qui lui valent un succès certain auprès du public anglais, livres dans lesquels il relate les aspects pittoresques de ses expériences, en particulier aux îles Galapagos, mais expose aussi ses réflexions géologiques et zoologiques. Ce séjour en bateau semble avoir calmé son appétit de voyage. Il mènera par la suite une vie extrêmement casanière dans sa maison du comté de Kent et passera un nombre incalculable d’heures à collecter des informations scientifiques (sa correspondance est immense).
La théorie de l’évolution, le principe de la sélection naturelle, aura un impact énorme. Pourtant, Darwin n’est pas le premier à s’intéresser à cette question. Lamarck (qui a inventé le terme de « biologie ») avait fondé la théorie de l’évolution neuf ans avant la naissance de l’auteur de L’origine des espèces (et avait, lui aussi, subi les foudres de l’Église). Mais le principe de la sélection et la part de hasard qu’introduit Darwin dans la théorie rendent beaucoup plus problématique l’origine de l’homme pour le lecteur assidu de la Bible. On a ainsi ridiculisé Darwin pour avoir dit que l’être humain descendait du singe. Mais Darwin a plutôt écrit qu’il était un cousin éloigné du singe, ce qui n’a pas du tout les mêmes conséquences. Il reste que dans l’imaginaire social, cette image est restée très prégnante et constitue encore le signe de la « dégénérescence » de l’humanité qui serait issue d’un mammifère inférieur. On voit encore régulièrement, dans journaux et magazines, voire dans la publicité, sous toutes sortes de formes (faisant souvent la preuve, de la part de l’auteur, d’une imagination débridée), un dessin reproduisant l’évolution de l’Homme, du singe primitif à un être bien représentatif de l’espèce humaine. Cette évocation d’une évolution linéaire est en soi totalement contraire à l’esprit des théories de Darwin, mais, comme la pomme de Newton, constitue un des grands mythes de l’univers scientifique.
L’impact de l’œuvre de Darwin s’explique pour plusieurs raisons. D’abord, par l’importance qu’elle a acquise dès le XIXe siècle dans différents domaines scientifiques, de l’explication des particularités morphologiques des plantes grimpantes et insectivores à la sélection sexuelle en passant par la psychologie de l’enfant. Ensuite par ses effets, pour le meilleur et pour le pire, dans différents domaines, a priori éloignés de l’histoire naturelle, en politique aussi bien qu’en sociologie ou en philosophie. On notera par ailleurs que le darwinisme « pur » (avant d’être raffiné par des chercheurs contemporains) a donné lieu à des théories discutables selon lesquelles il prouverait que, dans la société humaine, il est légitime d’accepter que les plus forts survivent au détriment des plus faibles. On peut aussi penser aux théories de l’eugénisme, mises au point par le propre cousin de Charles Darwin, Francis Galton. Il faut préciser qu’à travers de nombreux textes antiracistes et anticolonialistes, Darwin s’est opposé à ces hypothèses. Pour lui, la culture, produite par l’humanité, devait justement pallier ce principe du struggle for life qui serait propre à la nature. S’il n’a pas la verve et l’immense culture d’un Galilée ou d’un Bruno, il reste aussi que Charles Darwin est un écrivain fort intéressant.