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Le télescope de Rachid
Type de publication:
BookAuteurs:
Mahjoub, JamalSource:
Actes Sud, Paris, p.344 (2000)Texte complet:
En prenant comme point de départ les aventures du fils illégitime d’un négociant syrien et d’une esclave noire, le roman de Mahjoub reconfigure, avec un exotisme certain, les liens qui unissent science et foi. Le personnage de Rachid, accusé du meurtre d’un marchand juif, se voit offrir par le Dey d’Alger l’opportunité de fuir vers l’Europe. Cet exil est cependant conditionnel à l’accomplissement d’une tâche de la plus grande importance : mettre la main sur le télescope, cette nouvelle invention qui garantira les succès militaires. Le périple de Rachid l’amène jusqu’au Danemark, où il réside chez Heinesen, un astronome qui fut l’élève de Tycho Brahé. La narration est enrichie du point de vue de Hassan, un archéologue qui étudie justement un site où la dépouille de Heinesen est retrouvée. Le récit se déploie habilement entre les péripéties de Rachid et les recherches de Hassan qui tente de reconstituer (en même temps que le lecteur) les évènements entourant la mort de l’astronome.
Il serait faux de prétendre que la figure de Tycho Brahé occupe une place centrale dans le roman. Il n’apparaît qu’une seule fois comme personnage (p.164). Le savant est cependant évoqué par le biais des réminiscences de Heinesen ou par les recherches biographiques brièvement exposées par Hassan. Il reste que le récit nous plonge en plein cœur de la crise qui secoue le paradigme géocentrique en offrant un éclairage digne d’intérêt : le personnage de Rachid incarne toute cette distance qui sépare la tradition orientale des idées d’une Europe renaissante. Confronté à un nouveau régime de connaissance, le personnage prend conscience, non sans une grande détresse, du divorce entre la science et la religion. Sans jamais tomber dans le piège d’une opposition simpliste entre les deux cultures, Mahjoub parvient assez judicieusement à montrer que l’obscurantisme ne provient pas de Rachid (qui ne connaît pas les travaux de Copernic, de Bruno, etc.), mais bien des résidents du village danois qui associent Heinesen et son hôte étranger au diable parce qu’il questionne la nature de l’univers. L’auteur convoque aussi, dans cette mise en scène digne d’un grand intérêt, les figures de Giordano Bruno, de Simon Mayr, de John Dee et d’Hermès Trimégiste.