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Les physiciens
Type de publication:
BookAuteurs:
Dürrenmatt, FriedrichSource:
L'Âge d'homme, Lausanne, p.99 (1988)Texte complet:
Pièce politique, Les physiciens se déroule dans un asile d’aliénés et s’ouvre sur l’annonce d’un meurtre. Il y en aura trois au total. Les trois fous enfermés dans cette salle, et qui commettront chacun un meurtre, se croient physiciens : l’un se prend pour Newton, le second pour Einstein, le troisième se fait appeler Möbius. Ce dernier affirme que le roi Salomon lui apparaît, et veut écrire une œuvre en son nom. Concrètement, les trois meurtres s’expliquent pour les mêmes raisons : la crainte de voir la vérité révélée. Car « Einstein » et « Newton » sont en réalité deux physiciens qui agissent comme espions, l’un au nom du bloc de l’Est et l’autre au nom du bloc de l’Ouest, et sont chargés de surveiller Möbius dans le but de le convaincre, au besoin par la force, de travailler au profit des intérêts qu’ils représentent. S’épiant l’un et l’autre, ils finissent par révéler leur véritable identité et obligent Möbius à avouer qu’il simule la folie.
Newton et Einstein tentent à tour de rôle de le convaincre d’adhérer à son camp. Mais Möbius les renvoie dos à dos en les accusant de vouloir aliéner sa liberté. De plus, il leur annonce qu’il a brûlé ses manuscrits et les convainc de continuer à jouer le rôle de fous à la clinique. De toute manière, leur mission a échoué. Après mûres réflexions, ils acceptent. Physiciens, ils resteront innocents du mal qu’ils pourraient causer. Cependant, la directrice de la clinique a depuis longtemps démasqué Newton et Einstein, espionné Möbius et copié ses manuscrits. Elle a commencé à exploiter ses recherches pour le compte d’un gigantesque empire industriel. Elle apparaît comme la seule vraie folle de cette histoire, obsédée par les gains financiers et le pouvoir. Les recherches échappent aux États ennemis, mais se retrouvent entre les mains d’un trust privé rien de moins que démoniaque.
Que les deux hommes qui représentent les deux blocs politiques prennent en guise de surnom le patronyme des deux physiciens les plus renommés du monde occidental ne relève évidemment pas du hasard. On pourrait dire que ces deux noms ont du poids d’abord d’un point de vue rhétorique : métonymiquement, ils incarnent très bien la science; métaphoriquement, leur puissance symbolique exprime la force des pouvoirs politiques représentés.
Comme l’ensemble de l’œuvre de Dürrenmatt, Les physiciens interroge le droit, la morale, la vérité, le principe de justice dans la société contemporaine. Entre la folie et l’obsession du pouvoir, Dürrenmatt a décidé d’inscrire la figure du physicien, symbole du vertige et des risques de la connaissance. Newton et Einstein s’y retrouvent comme modèles du grand scientifique occidental.