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Einstein, s'il vous plaît
Type de publication:
BookAuteurs:
Carrière, Jean-ClaudeSource:
Odile Jacob, Paris, p.253 (2005)Texte complet:
Quelque part au début du XXIe siècle, en 2005 sans doute, une jeune femme, inconnue, dans une ville indéterminée, entre dans un bâtiment, cogne à une porte, passe par une salle d’attente un peu mystérieuse et entre dans une pièce où se trouve Albert Einstein, avec un tableau noir et son violon. Durant un long moment (plusieurs heures?), ils s’entretiendront de physique (surtout), d’histoire et de philosophie (un peu). La jeune femme doit écrire un livre sur leur rencontre, mais ce n’est qu’un prétexte. Einstein est pris, depuis près de 50 ans, depuis sa mort, dans cette maison, à continuer son travail. Plusieurs théories sur sa présence sont avancées, mais toutes se valent. Ce qui est certain, c’est que la maison défit la physique classique. L’espace-temps y semble courbe, comme dans les théories d’Einstein : le temps ne s’écoule plus de la même façon, les cinq portes de la chambre s’ouvrent sur d’autres lieux et d’autres époques (un ascenseur, un ciel étoilé, l’Allemagne nazie, Hiroshima, etc.) Parfois, Isaac Newton, qui attend depuis des siècles dans la salle d’attente, interrompt leur entretien pour redemander, pour la énième fois, à Einstein de lui réexpliquer les théories de la physique moderne qu’il ne peut saisir. Il faudra d’ailleurs lui montrer l’explosion de la bombe atomique à Hiroshima, alors qu’Einstein lui dit : « Regarde ce qu’ils ont fait de notre travail… » (p. 213), pour qu’il comprenne, finalement. Entre-temps, la jeune femme écoutera le savant lui expliquer l’histoire de la physique, l’évolution des théories, de Newton à Higgs, de la relativité aux supercordes, en passant par la physique quantique de Niels Bohr. Cette histoire se termine par une réflexion philosophique sur l’univers, notre façon de le percevoir et de vouloir l’expliquer, abstraction des théories contemporaines l’obligent.
Ce roman de l’auteur français Jean-Claude Carrière n’est certainement pas inintéressant, mais ce n’est pas un grand roman. Les personnages sont unidimensionnels, le récit minimaliste et la narration, qui s’annonçait plutôt originale au tout début, s’avère un peu ennuyeuse, mais on comprend bien que là n’est pas le propos. L’impression qu’on a à la lecture est qu’on se trouve devant la mise en fiction d’une petite histoire de la physique, d’un panorama, qui s’avère fort complet et très bien vulgarisé. Si le personnage d’Einstein est réaliste et assez près du véritable physicien, il s’avère un peu agaçant de le voir jouer au professeur devant une jeune femme impressionnée et néophyte, comme on le voit si souvent dans les textes de fiction. Toutefois, la rencontre entre Newton et lui, bien que courte, est fort intéressante et révélatrice de l’évolution exponentielle de la pensée scientifique et d’un certain manque d’ouverture d’esprit des savants qui croient avoir développé une théorie absolue, qui expliquerait tout. Il est également intéressant de voir à quel point les physiciens se confondent avec leurs théories et les défendent, aussi irrationnel que cela puisse être, comme si toute attaque à ces théories était une attaque contre eux. Si ce roman nous en apprend peu sur Einstein, une des théories de la jeune femme sur sa vie après la mort est franchement originale : « Elle préfère, puisqu’elle vient de passer par le bouddhisme, s’en tenir à l’image douce d’une bodhisattva, un de ces personnages rares, d’une très haute qualité, qui, méritant enfin d’en terminer avec la chaîne des réincarnations et d’entrer à jamais dans le nirvana, choisissent de rester parmi les humains qui souffrent encore et de les aider à s’en sortir. Le bodhisattva Einstein. » (p. 211-212)