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L'homme incendié. Le roman de Giordano Bruno
Type de publication:
BookAuteurs:
Filippini, SergeSource:
Phébus, Paris, p.382 (1990)Texte complet:
Avec L’Homme incendié, Filippini accomplit un tour de force dont peu d’auteurs peuvent se vanter : incarner les enjeux scientifiques d’une époque à travers la voix d’un savant tout en offrant un objet littéraire d’un intérêt évident. Le lecteur est plongé à Tor di Nona, prison romaine où Giordano écoule les derniers jours qu’il lui reste avant d’être brûlé vif par l’Inquisition. À l’aide de l’encre et du papier fourni par son geôlier, Bruno se met à l’écriture de son dernier livre avec la certitude que celui-ci sera, avec lui, jeté aux flammes. L’hérétique entreprend donc le récit de sa vie, le ponctuant de sept chapitres écrits pendant les sept jours qu’il purgera dans son cachot (du 10 au 16 février 1600). En nous transportant à travers l’Europe (l’Italie, évidemment, mais aussi Genève, Paris, Londres, Francfort, Prague), Bruno nous convie par une plume tantôt nostalgique, tantôt vindicative à la rencontre de personnages complexes tels que le roi Henri III, l’ambassadeur Michel de Castelneau, le poète Sidney, le philosophe Montaigne, le scientifique Tycho Brahé, etc. Les péripéties du savant sont constamment ponctuées par des préoccupations philosophiques et cosmogoniques, si bien que le lecteur se retrouve par moment devant un plaidoyer littéralement révolutionnaire qui contribue à faire basculer la conception de l’Univers. Excommunié par trois Églises, opposé à la scholastique aristotélicienne, cerné d’ennemis, c’est effectivement un Bruno polémiste que Filippini nous propose. Le roman porte aussi en filigrane une relation amoureuse, passionnée et assurément fictive que Bruno entretient à l’égard de William Cecil, courtisan au royaume d’Élizabeth.
C’est une représentation du savant extrêmement intéressante que l’auteur met en place dans L’Homme incendié. Le portrait du scientifique en écrivain déchiré, obstiné, oscillant entre l’idéalisme et la rationalité, est brillant. L’imagination occupe une place primordiale dans l’élaboration des thèses de Bruno. Ainsi, elle est au service de la recherche : « je ne possédais ni livre, ni maître, ni ami; pourtant je voyais déjà mon imagination concevoir – oh! très grossièrement – les linéaments d’une hiérarchie possible du vivant » (p.23). Le roman de Filippini, en donnant voix à un savant pris entre deux paradigmes, parvient à questionner le rapport à l’écriture, à la mémoire et à la connaissance.