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La création. Autobiographie de Dieu
Type de publication:
BookAuteurs:
Ferrucci, FrancoSource:
Payot, Paris, p.353 (1990)Texte complet:
Dans cette « autobiographie », Dieu parle, raconte, narre son histoire sur 2000 ans et se souvient. Loin de chercher à renouveler ses disciples, à s’assurer la fidélité de ceux qu’il a déjà ou à nous imposer une nouvelle religion, il tente plutôt de déconstruire les mythes, légendes et superstitions qui l’ont érigé, de démentir les idées reçues à son sujet, et de remarquer à quel point on a pu le « défigur[er] » (p. 135). Depuis la naissance de la végétation jusqu’à l’apparition de l’humain, il fait un grave constat : sa création n’est que trop imparfaite et chaque chose ou être n’a été ajouté que dans le but de redresser l’imperfection d’un créateur trop maladroit qui entend bien mal son propre œuvre (n’est-ce pas d’ailleurs le cas de tout créateur?) : « comprendre la vie restait mon obsession. Je voulais maîtriser ce que j’avais créé et ne pouvais compter que sur les hommes » (p. 234), « le monde que j’avais créé était une œuvre imparfaite, une sorte d’ébauche à perfectionner » (p. 291) « j’avais créé l’homme pour m’aider à comprendre ma nature protéiforme, et voilà qu’il me répondait avec l’idée de diable » (p. 202). C’est à un dieu tantôt disciple de Bouddha, tantôt athée, voire hérétique, pécheur par luxure, oisiveté et gourmandise que Ferrucci donne la parole. Un dieu à l’image beaucoup plus humaine cette fois, un « être » mâle bien entendu (!), mais avec lequel le lecteur revisite l’histoire de l’invention de Dieu, la culture religieuse et la philosophie. L’auteur s’amuse avec cette idée : le Tout-Puissant est une création fictive, pourquoi ne pas le faire parler en fiction, lui donner la chance de s’expliquer un peu et de changer son image.
À travers sa narration, le personnage de Ferrucci tente de rassembler ses souvenirs (combien nombreux) et de rapporter ses rencontres avec de grands personnages qui ont marqué l’Histoire. Parmi eux, Moïse, son fils, Jésus (conçu non avec une vierge cette fois, mais avec une prostituée), Dante, Xénophane, Parménide, Freud et Einstein, en plus de citer et d’admirer Galilée, etc. S’il tente de comprendre sa propre création, les scientifiques lui sont assurément d’une grande nécessité. Il compte d’ailleurs « les astronomes et autres spécialistes du ciel au nombre de [ses] héros » (p. 10). Il fait la connaissance de Freud, alors que celui-ci n’est encore que médecin, pour soigner une indigestion causée par abus de pâtisseries. C’est à ce moment que Dieu découvre dans son délire gastrique qu’il a un inconscient. Racontant tout au médecin, il a probablement inspiré l’idée de la psychanalyse à celui qui en est aujourd’hui le père reconnu. Sa seconde entrevue avec Freud, devenu depuis une sorte de gourou entouré de disciples, sera marquée par la dualité : Dieu contre Freud dans un bureau de psychanalyste! Ensuite, il part à la recherche d’Einstein afin de « le mettre au courant de [sa] reconnaissance stellaire » (p. 306). Le physicien rencontre un Dieu assoiffé de savoir et d’explications, interlocuteur auquel Einstein se voit dans la nécessité d’expliquer simplement la théorie de la relativité restreinte.
C’est avec beaucoup d’érudition, d’humour et de philosophie que Ferrucci mène à bien son projet d’autobiographie divine, sans moralisme ni religiosité. Ce roman pourrait très bien servir pour un cours de philosophie, d’histoire ou de littérature du niveau collégial ou même universitaire.