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The Book About Blanche and Marie
Type de publication:
BookAuteurs:
Enquist, Per OlovSource:
The Overlook Press, Woodstock, New York, p.218 (2006)Texte complet:
La véritable Blanche Wittman était une célèbre patiente du docteur Charcot, le médecin en chef de La Salpêtrière où l’on traitait l’hystérie à la fin du 19e siècle à Paris. La fictive Blanche, amputée de trois membres et réduite à l’état de torse humain, a écrit trois livres, réunis sous le nom de « Livre des questions », s’interrogeant sur l’amour, avec pour hypothèse de départ : Amor Omnia Vincit (L’amour conquiert tout). Elle s’intéresse surtout à son amour mortel pour le docteur Charcot, à l’amour posthume de Marie Curie pour son mari, Pierre, et puis à l’amour dévastateur de la double nobélisée pour Paul Langevin, un homme marié dont l’aventure a scandalisé la France. Le roman de Per Olov Enquist est un faux essai critique sur ces livres écrits par Blanche : le narrateur en cite parfois des extraits, mais note surtout les oublis, les exagérations ou les dérives de l’amputée et ex-hystérique. Ainsi, si l’on recolle les morceaux et que l’on reconstruit la chronologie, The Book About Blanche and Marie raconte la jeunesse de Marie Skłodowska en Pologne; son immigration en France; son mariage avec Pierre et la mort de celui-ci sous un fiacre; son histoire d’amour avec Paul Langevin et le scandale qui a terni à jamais sa réputation; ses deux prix Nobel et son doctorat à la Sorbonne. En parallèle, la vie de Blanche se dévoile au fil du texte, en commençant par son internement à La Salpêtrière, dès ses 16 ans, pour hystérie où elle participa à de nombreux spectacles « médicaux » de Charcot. C’est d’ailleurs à La Salpêtrière qu’elle rencontra Jane Avril, Freud et les autres assistants du docteur et où elle entretint un lien d’amour-haine avec son médecin. À sa sortie de l’hôpital, elle raconte son travail acharné comme assistante de laboratoire de Marie Curie, travail d’extraction du radium qui mena à l’amputation de ses deux jambes et d’un de ses bras, puis à sa mort. L’histoire des deux femmes se croise dans le laboratoire, où le radium a été découvert après le traitement de tonnes de pechblende, là où elles devinrent inséparables. Deux femmes fortes, à une époque où il valait mieux ne pas l’être, qui incarnaient les stéréotypes de femmes marginales : l’artiste hystérique et l’intellectuelle frigide, deux modèles qu’elles brisèrent par leurs actes.
Cet excellent roman de Per Olov Enquist en dit long sur les conditions dans lesquelles Marie Curie a dû travailler, dans une France misogyne, xénophobe et antisémite, mais aussi sur ce que les femmes devaient endurées dans l’hôpital de Charcot, traitées comme des animaux. Bien que la science ne soit pas le thème principal de ce livre, il propose une réflexion passionnante sur une époque où la science était encore synonyme d’espoir, d’avancement et de bien pour l’humanité. Perception qui fut anéantie avec le début de la Première Guerre Mondiale, selon le narrateur. Ce récit offre également une image intéressante du savant qui se sacrifie pour la science, n’ayant pas peur des effets dévastateurs de certaines découvertes sur son corps. Le personnage de Blanche est particulièrement marquant : l’image de la femme, jadis magnifique, mais réduite à un simple torse, dans sa caisse de bois, écrivant d’une seule main, se répète tout au long du texte, comme une image obsédante qui ne peut être effacée. Un corps sacrifié qui n’a aucun regret. Le dénouement et les conséquences de l’histoire sont lancés à la figure du lecteur dès le début du récit, mais les circonstances sont dévoilées au compte-goutte, jusqu’à la dernière ligne, laissant une impression étrange au lecteur impatient, qui ne peut s’empêcher de vouloir savoir ce qui a bien pu mener à une fin si tragique.