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Rendez-vous avec Einstein
Type de publication:
Book ChapterAuteurs:
Buzzati, DinoSource:
Toutes ses nouvelles, Tome 1 / 1942-1966, Robert Laffont, Paris, p.227-231 (1989)Texte complet:
L’ouverture du texte propose en quelques phrases une foule d’éléments qui tracent les marques du génie d’Einstein dont le nom est évoqué dès la première ligne. Ce dernier, véritable prophète, vient d’avoir une illumination : il a « vu » la courbure de l’espace, chose impensable jusqu’à ce jour, même pour les plus grands esprits.
Alors qu’il se réjouit, cette vision disparaît et il se trouve projeté dans un lieu inconnu, désertique, où il rencontre l’ange de la mort, représentant du diable sur terre, qui lui apprend qu’est venu pour lui le temps de mourir. Désespéré, sachant que sa vision lui permettra de découvrir les clés de l’univers, Einstein demande un délai d’un mois, qu’on lui accorde et qui sera renouvelé.
Quand finalement il annonce avoir terminé ses travaux et se considère prêt à mourir, l’ange de la mort éclate de rire et affirme qu’il peut retourner chez lui. Devant le désarroi du savant, il explique lui avoir fait peur pour qu’il accélère son travail. Nous sommes pendant la Seconde Guerre et les forces du mal ont pour le moment écrasé les forces du bien. Voilà pourquoi « les chefs, en bas, les grands démons » (p. 231) tenaient à ce qu’Einstein se dépêche : c’est à la bombe atomique qu’ils songeaient. “Balivernes! S’irrita Einstein [qui ne comprend pas]. Qu’y a-t-il de plus innocent au monde? Ce sont de petites formules, de pures abstractions, inoffensives, désintéressées…” » (p. 231)
Einstein est ici un Cassandre aveuglé : lui, le pacifiste, celui qui prévoit le mal et le dénonce, n’a pas imaginé ce qu’on pouvait découler de ses « petites formules ». Dans ce conte, il apparaît comme le symbole des risques de la science, d’autant plus que les catastrophes peuvent être produites en toute bonne foi.
Ce texte de Buzzati est un exemple représentatif du travail d’un écrivain qui fut parmi les plus brillants nouvellistes du XXe siècle. Le fantastique permet d’interroger sans didactisme les valeurs de bien et de mal en les ancrant dans une réflexion sur les pouvoirs de la science. La brièveté de la nouvelle, la simplicité de la narration et les problèmes éthiques soulevés en font un texte accessible pour des publics très larges, dès le secondaire.