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La bâton d'Euclide. Le roman de la Bibliothèque d'Alexandrie
Type de publication:
BookAuteurs:
Luminet, Jean-PierreSource:
JC Lattès, Paris, p.298 (2002)Texte complet:
L’astrophysicien Jean-Pierre Luminet nous convie à un fascinant voyage à travers les fondements historiques et scientifiques de la civilisation occidentale. L’action principale du récit se situe à Alexandrie en 642, au moment où les troupes arabes, dirigées par le Général Amrou, pénètrent dans la ville égyptienne. Cette invasion, commandée depuis Médine par le Calife Omar, vise à propager la nouvelle religion qu’est l’Islam. L’intrigue tourne autour du destin que les envahisseurs réserveront à l’immense Bibliothèque.
Les personnages principaux, Jean Philipon, Rhazès et Hypatie, tous inspirés de véritables savants anciens, élaborent avec minutie un plaidoyer visant à sauver des flammes ce haut-lieu du savoir. Cette « défense et illustration » prend la forme de courtes histoires, d’anecdotes, de précisions scientifiques : Luminet raconte non seulement l’histoire de la Bibliothèque, mais aussi celle des mathématiques, de l’astronomie, des civilisations égyptiennes, grecques et romaines. Sous la forme de courts récits enchâssés, les narrateurs nous présentent les vies d’Aristote, d’Alexandre le Grand, d’Archimède, d’Euclide, de Jules César, de Cléopâtre, de Cicéron, de Ptolémée ou encore d’Hypatie, parmi d’autres. Le clin d’œil fait aux Contes des mille et une nuits est fameux : pour sauver la Bibliothèque, les personnages laissent en appétit le Général Amrou en lui promettant pour le lendemain une nouvelle histoire mettant en vedette d’autres savants.
Cette immense généalogie des savoirs anciens est impressionnante. L’auteur évoque la question de leur pérennité, opposant à la connaissance l’idéologie et la foi. Il est très intéressant de voir se confronter la perspective antique incarnée par les défenseurs de la Bibliothèque (conception dont le projet avoué est de posséder dans son enceinte tous les livres du monde) à celle des représentants de l’Islam (pour qui le contenu du Coran recèle à lui seul le savoir de tous livres).
En postface, Luminet avoue s’être « efforcé pour être plausible dans l’invention romanesque ». Son travail, d’un grand intérêt encyclopédique, atteint à coup sûr son objectif. Ainsi, nous nous retrouvons devant la « mise en fiction » d’une myriade de savants anciens dont la biographie nous échappe. La savante Hypatie en constitue l’exemple le plus visible. En mettant en scène un personnage du même nom que la scientifique et dont le destin sera exactement le même (le personnage meurt lapidé), l’auteur réaménage des éléments appartenant à une mémoire ancienne de manière à nous offrir une relecture de l’histoire d’un des plus grands monuments de la culture.