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En cause - J. Robert Oppenheimer
Type de publication:
BookAuteurs:
Kipphardt, HeinarSource:
L'Arche, Paris, p.167 (1967)Texte complet:
S’inspirant du procès-verbal de la Commission de l’énergie nucléaire des États-Unis qui compte plus de 3000 pages, l’auteur crée une pièce relativement courte mettant en scène ses principaux témoins et membres. Robert Oppenheimer était apparu devant elle afin qu’elle détermine s’il pouvait conserver son brevet de sécurité : la Commission questionnait ses liens passés avec le communisme, son attitude par rapport aux recherches sur la bombe à hydrogène et celles qu’il avait dirigées sur la bombe atomique. Bien qu’il s’agisse d’un ouvrage de fiction, l’effet de réel est très grand; l’auteur serait demeuré assez près des documents pour mettre en relief les paranoïas historiques, les débats scientifiques et la complexité du contexte socioculturel de l’époque. À la fin de la pièce, le personnage d’Oppenheimer prononce un discours qui clôt la commission – il s’agit d’une pure invention du dramaturge, mais qui fait de lui une figure tragique, forte et ambiguë.
Oppenheimer est décrit aussi bien par ses biographes que par ses proches comme un individu à la personnalité complexe, difficile à cerner, et ce portrait est repris dans la pièce de Kipphardt. À travers les nombreuses entrevues d’Oppenheimer lui-même et de ses collaborateurs, le dramaturge insiste sur le débat entourant la responsabilité morale des scientifiques et l’ingérence du pouvoir politique dans leurs travaux. Les scientifiques représentés hésitent à tisser les liens entre les sciences dites pures et les sciences appliquées; la récupération d’une technique à des fins militaires, depuis l’explosion de la première bombe atomique, semble renforcer dans leur discours la distinction entre la recherche pure et la recherche technique. De plus, le climat de la guerre froide, l’impact imaginaire de l’utilisation de la bombe atomique et la guerre idéologique sont très habilement représentés par l’auteur qui réussit à souligner la perte de repères, la confusion idéologique et morale qui règne alors. Par exemple, plusieurs témoins rappelleront que la Commission questionne des attitudes politiques et des actes ayant eu lieu plusieurs années auparavant, avec des critères étant issus d’un contexte géopolitique différent. Au milieu de tout cela, le père de la bombe atomique se justifie et nuance sa position. La pièce, dense, est particulièrement intéressante.