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Le visiteur
Type de publication:
BookAuteurs:
Schmitt, Éric-EmmanuelSource:
Albin Michel, Paris, p.242 (1999)Texte complet:
Le Visiteur est une courte pièce de théâtre qui a été créée à Paris en 1993, au début de la carrière littéraire d’Éric-Emmanuel Schmitt. Composée sous la forme intimiste d’un dialogue entre Sigmund Freud et un « Inconnu » faisant irruption chez lui durant la nuit, la pièce met en scène les doutes et les faiblesses du père de la psychanalyse. Au moment où l’action commence, Freud et sa fille Anna sont en train de ranger leur bibliothèque qui a été saccagée par des nazis. Nous sommes en 1938, quelque part entre l’Anschluss et le début officiel de la Seconde Guerre Mondiale. Après avoir été menacé par un officier qui lui soutire de l’argent, Freud se retrouve seul avec lui-même dans son cabinet, Anna ayant été enlevée par la Gestapo en raison de son attitude provocatrice. Un inconnu fait alors irruption et, de façon mystérieuse, se met à exercer une influence psychologique sur le médecin déjà affaibli par sa gorge cancéreuse et ses angoisses existentielles.
Le texte de Schmitt s’appuie sur un des épisodes les plus connus de la vie de Freud, c’est-à-dire ce fameux affidavit que les nazis l’ont obligé à signer avant son départ pour Paris, dans lequel il disait avoir été bien traité par le régime hitlérien. Toute personne qui a un tant soit peu étudié la psychanalyse et son histoire connaît cette anecdote, qui est devenue un des archétypes de la figure de Freud. Il a bel et bien signé le texte, mais en ajoutant un post-scriptum dont la saveur sarcastique ne pouvait pas passer inaperçue. Autour de cela, Schmitt construit son dialogue entre Freud et l’inconnu qui se révèle être (peut-être) Dieu lui-même, incarné dans le corps d’un fou échappé de l’asile cette nuit-là. Aucune réponse claire n'est évidemment donnée quant à la nature de l’étranger, ce qui soulève le doute chez Freud. Il tente de lui faire comprendre que la vie n’est pas tant une énigme qu’un mystère. « Dieu » s’affiche dans un moment de trouble intense, fait vaciller les convictions du vieil athée et lui insuffle une dose de spiritualité qui ne lui laisse d’autre choix que de se remettre en question.
Le spectateur (ou le lecteur) est donc placé en face d’un être qui hésite entre son esprit analytique et une circonstance inexplicable. Jusqu’à un certain point, l’argumentation est bien menée par Schmitt qui instille une sorte de suspense quant à la véritable identité de l’inconnu. On oscille, comme Freud lui-même, entre la supercherie et la révélation. Le problème est qu'on a bien peu l'impression d'y trouver de la véritable philosophie, mais plutôt des idées philosophiques préconçues, les monologues semblant être tirés directement de Platon ou Kierkegaard, le solipsisme de l’esprit humain ou l’irréductible profondeur du message des Évangiles. Cette approche pour figurer Freud est, malgré les apparences, plus ou moins pertinente. Il est fort possible que l’homme ait eu des doutes durant sa longue existence quant au matérialisme, des moments de faiblesse (de grâce?) où l’absence de Dieu lui a semblé impossible, mais il semble bien réducteur d'expliquer la complexité de son esprit par un de ces moments.