Rubriques
Oracle
Type de publication:
Web ArticleAuteurs:
Egan, GregSource:
Nombre 24 juin 20 (2000)URL:
www.gregegan.net/MISC/ORACLE/Oracle.htmlTexte complet:
Cette nouvelle de Greg Egan raconte le destin de Robert Stoney, double d’Alan Turing dans un univers parallèle (Egan se base sur la théorie des mondes multiples de Hugh Everett) qui aurait décidé d’accepter de travailler pour le MI6 plutôt que de subir un procès pour perversion sexuelle (homosexualité). Toutefois, s’il ne subit pas l’humiliation du traitement hormonale, comme le vrai Turing, Stoney se retrouve finalement enfermé par un certain Quint des services secrets dans une minuscule cage, où il est confiné pour des mois, jusqu’à ce qu’une femme mystérieuse fasse disparaître la cage et l’aide à se rétablir sur le campus de Cambridge. Cette femme, nommée Helen, est en fait une andréïde venue du futur d’un univers parallèle (le nôtre?), afin d’aider Stoney à faire avancer la science plus rapidement. Elle lui explique le fonctionnement du concept de mondes multiples (basé sur une théorie qu’il a lui-même développée en mécanique quantique) et lui permet de développer différents projets, dont celui de recréer l’intelligence humaine dans une machine. Ce projet est largement connu sur le campus et un certain professeur de littérature médiévale, très croyant et auteur de littérature fantastique pour enfant (le double de C. S. Lewis) en prend connaissance et décide de s’y opposer publiquement afin de discréditer Stoney, qu’il prend pour un Faust moderne. Une grande partie de la nouvelle est axée sur ce duel entre Stoney et Hamilton (le double de Lewis), ce dernier proposant un débat télévisé sur le sujet : « Est-ce qu’une machine peut penser? » Ce débat est fort intéressant puisqu’il permet à Stoney d’expliquer le théorème d’incomplétude de Gödel pour justifier son opposition et Stoney/Turing de se justifier pas ses théories sur l’intelligence par apprentissage appliquée à l’informatique (autrement dit, l’intelligence artificielle). Finalement, il n’y a aucun gagnant, mais le débat marque le départ d’Helen et la mort de la femme de Hamilton/Lewis, qui demeure enfermé dans sa foi et refuse l’aide de son double, venu de l’autre monde.
Développée en roman, cette nouvelle aurait pu être très riche en débats scientifiques et philosophiques, mais on reste un peu sur notre faim. Si le personnage de Stoney/Turing, en tant qu’extension de la vie de Turing qui ne se serait pas suicidé, est fort intéressant et très riche, il n’apparaît pas suffisamment dans un récit qui laisse beaucoup de place aux doutes chrétiens de Hamilton/Lewis. Chacun des personnages aurait pu générer une nouvelle, mais de placer les deux dans le même univers est un peu discutable, d’autant plus que la religion n’a joué aucun rôle dans la vie du véritable Turing. De plus, certains éléments typiques de la science-fiction ne semblent pas vraiment pertinents ici, comme le robot Helen, par exemple (qui aurait pu être justifiée en étant une Turing Machine, mais cet aspect n’est jamais développé). Autrement, « Oracle » est une bonne nouvelle, porteuse de plusieurs éléments scientifiques et historico-biographiques très intéressants, mais qui ne va pas assez loin dans sa logique. De plus, si Stoney/Turing continu à s’intéresser à l’intelligence artificielle (comme le vrai Turing l’aurait sans doute fait), la théorie des mondes multiples qui lui est attribuée n’a strictement rien à voir avec le Turing historique qui ne s’est jamais intéressé à la physique quantique sérieusement et qui était déjà mort au moment où Everett a publié sa théorie. Il faut par ailleurs noter que si les noms de Turing et de Lewis n’apparaissent jamais dans le texte, il n’y a aucun doute sur leur identité, considérant la masse de détails biographiques précis qui nous l’indiquent.