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Livre d’Hypatie
Type de publication:
BookAuteurs:
Luzi, MarioSource:
Verdier, Paris, p.121 (1994)Texte complet:
Le Livre d’Hypatie est un diptyque théâtral composé de deux courtes pièces poétiques se faisant écho. La première, Hypatie, raconte brièvement la défaite des partisans de la philosophe néoplatonicienne dans leur lutte contre les forces politiques et morales du nouveau fanatisme chrétien. Le jeune Synésios, disciple d’Hypatie, est mandaté par le préfet d’Alexandrie, Oreste, pour aller faire entendre raison à sa chère maîtresse et lui intimer de cesser ses discours enflammés sur les places publiques. Refusant d’entendre les arguments de Synésios (auxquels il ne croit pas, fidèle qu’il est à la voix séditieuse d’Hypatie), elle se fait lapider et démembrer par une foule de moines délirants. Le tout nous parvient comme une rumeur, une peste lancinante qui plane sur la ville d’Alexandrie, phare de la philosophie et cité autrefois riche de ses différences, maintenant assaillie par les légions d’un dogmatisme qui annonce un renouveau marqué par l’idée de la tabula rasa. La nuit précédant son meurtre, Hypatie reçoit la visite d’une voix qui s’annonce comme un changement, à la fois souverain et infirme, radical et bancal. À la manière du Christ, Hypatie sait qu’elle doit se sacrifier pour ce futur dont elle pressent la terreur et l’inévitabilité.
Le Messager se déroule plusieurs années après, à Cyrène, où Synésios est devenu évêque. La ville, menacée de tous côtés par les hordes berbères, est en lutte pour sa survie. Les conseillers de Synésios lui apprennent que le roi de Nubie, leur ennemi, a envoyé un mystérieux messager qui porte des lettres et des demandes. Pour une raison que tous ignorent et craignent, la rumeur court que ce messager ne demandera pas audience au consul, mais bien à l’évêque, Synésios lui-même. Ce dernier est en proie à des cauchemars récurrents sur le passé glorieux de la Grèce, malmenant sa nouvelle foi apostolique : il revit les splendeurs d’Alexandrie et la belle époque d’Hypatie, répandant les fleurs de son intelligence et de son érudition sur ses disciples admiratifs.
Dans une écriture poétique brillante et sobre, Luzi présente un monde à la frontière entre deux civilisations, un monde absolument conscient de l’approche du futur et des changements irréversibles que celui-ci apporte. La figure d’Hypatie, pour le dramaturge, n’est nulle autre que le pivot entre ces civilisations antagonistes. Il nous fait voir, par l’entremise des dialogues, un être miné par l’angoisse, par la prescience d’une catastrophe annoncée, mais également prêt à tout pour cultiver ce mince espoir qui réside dans le discours et dans l’échange d’idées et d’opinions. Hypatie est présentée un peu comme le phare d’Alexandrie lui-même, un pilier qui peut être démoli, mais dont l’image reste gravée à jamais dans la tête des amoureux de l’intellect et de la raison, malgré le rouleau compresseur de l’histoire et de ceux qui sont en train de l’écrire, à gros traits d’édits et de lois divines.