Rubriques
Renaissance en Paganie
Type de publication:
BookAuteurs:
Ferretti, AndréeSource:
L'Hexagone, Montréal, p.81 (1987)Texte complet:
La prose poétique de Ferretti permet le contact de deux figures qui, au demeurant, ont peu de chose en commun, mis à part leurs initiales H et A. En effet, tout semble séparer Hubert Aquin et Hypatie d’Alexandrie, leurs sexes respectifs et plus de mille cinq cents ans d’Histoire, entre autres. C’est sous les auspices d’une philosophe fictive, Élaine Rivière, qui prépare un travail sur Aquin, que Ferretti organise sa rencontre qui sera marquée par le langage et les idées. Tout au long de ce récit impressionniste, c’est la voix d’Hubert Aquin, surgie d’outre-tombe, qui s’adresse au lecteur quelques années après son suicide. À travers une série de monologues, le romancier québécois cherche, découvre et chérit le lien arbitraire, mais pas pour autant incroyable, qui l’unit à Hypatie. Aquin cherche d’abord à comprendre ce qui motive cette philosophe montréalaise qui tente de le rapprocher d’Hypatie sur un plan symbolique, à rebours de l’histoire et de la logique. Il se demande ce qui pourrait bien faire de lui un égal de la grande femme savante du Ve siècle. En engageant un dialogue avec Hypatie, il est en mesure d’échanger des idées et de découvrir des passions et des combats communs. Il se charge alors, avec un mélange de compassion et de crainte quant à l’avenir des hommes, d’expliquer à Hypatie ce qui s’est passé au cours des nombreux siècles qui les séparent. Comme elle, l’humain le fascine, par ses forces et ses faiblesses; comme elle, il est incapable de survivre à son ignorance et à ses folies. Aquin, sous la plume imagée de Ferretti, devient un être inassouvi, qui est « mort d’avoir manqué de mots, anéanti par le mutisme de son inspiration. » (p. 76) Un être qui en appelle à la sagesse millénaire d’Hypatie d’Alexandrie, digne représentante d’une ligne de pensée qui s’oppose aux dogmes et aux fanatismes de toutes les époques.
Évidemment, le lecteur est en droit de se demander où, dans cette belle écriture, finit le pur échange d’idéaux universels et où commence le discours politique. Le rapprochement de deux grands penseurs n’en fait pas nécessairement des collaborateurs sur tous les niveaux. Autrement dit, n’est-ce pas où les ressemblances se terminent que les divergences prennent le dessus ? Une intelligence commune n’est pas garante d’une compréhension similaire de concepts comme patrie, nationalisme, peuple, égalité, etc. Au-delà d’une belle rencontre d’érudits, on peut voir poindre la dissension, les arguments contradictoires. Après tout, un être aussi incarné qu’Hubert Aquin aurait fait bien piètre figure dans la cour d’Hypatie, confrontée à sa rigueur et à ses disciples consciemment séparés des contingences temporelles et charnelles.