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Hypatie ou la mémoire des hommes
Type de publication:
BookAuteurs:
Bouyoucas, PanSource:
Dramaturges éditeurs, Montréal, p.158 (2005)Texte complet:
La pièce de théâtre de Pan Bouyoucas raconte, en une vingtaine de scènes très influencées par le motif du « chœur » grec, la dernière année de la vie d’Hypatie, femme philosophe et directrice de la bibliothèque d’Alexandrie. Dans un court prologue se déroulant en 395 av. J.-C., les torches chrétiennes brûlent pour une première fois la bibliothèque, tuant le père de la jeune Hypatie, qui fait alors le double serment de rebâtir cette « mémoire des hommes » et de ne pas avoir de relation charnelle avec l’autre sexe afin de rester pure et dévouée à cette tâche colossale qui lui prendra vingt ans. Défile alors une série de personnages influents qui entrent en conflit pour le futur de la ville. Les confrontations verbales s’enchaînent rapidement entre Cyrille, archevêque chrétien, Oreste, gouverneur (baptisé, mais peu dévot), le Rabbin, Hypatie elle-même, et Sara, une jeune médecin juive, amie et disciple d’Hypatie. Bouyoucas tient à nous montrer une ville en pleine perdition, aux prises avec des factions antagonistes qui n’ont en commun que leur fanatisme et leur désir impérieux d’écarter les autres. Oreste, sympathique à la cause d’Hypatie, mais obligé par politique de respecter l’avis et les conseils de Cyrille, est le lien entre toutes ces luttes, ces déchirements qui culmineront (c’est le seul moyen d’acheter la paix, aussi fragile soit-elle), par le meurtre violent de la jeune femme.
Les rares documents fiables qui ont traversé le temps jusqu’à nous au sujet d’Hypatie, et du genre d’existence qu’elle a menée, permet à l’auteur de créer un espace-temps plausible, un peu métaphorique, dans lequel évoluent des personnages qui sont plus des représentations d’idées que de véritables humains. Sa pièce est davantage un plaidoyer contre l’intolérance sous toutes ses formes et la stupidité fondamentale des hommes (en tant que sexe), qu’un essai qui tenterait de saisir l’essence de la pensée d’Hypatie d’Alexandrie. Son apport à la tradition occidentale est complètement mis de côté, laissant place à une femme excellant aux joutes orales (certains dialogues avec Cyrille font preuve d’une rhétorique tranchante, s’approchant presque du sophisme) et secrètement éprise d’Oreste, dont elle désire plus que tout l’attention et la compréhension. Dans un contexte épistémologique, la force de l’œuvre est également sa faiblesse : cette propension à faire d’Hypatie une icône du féminisme qui peine pourtant à prendre son envol au milieu d’un flot d’arguments à propos de la lâcheté et de la noblesse.