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Seventeenth Night
Type de publication:
Web ArticleAuteurs:
Doxiadis, ApostolosSource:
Incompleteness. A Play, a Theorem (In Press)URL:
www.apostolosdoxiadis.comTexte complet:
La raison ne suffit pas toujours à prouver toute la vérité. Tel est le théorème à la base de la structure dramatique de cette pièce d’Apostolos Doxiadis. Il s’agit du théorème de l’incomplétude prouvé par Kurt Gödel, éminent mathématicien et logicien, mais aussi célèbre paranoïaque, qui sert de modèle à son double fictif. « Seventeenth Night » met en scène Gödel à la fin de sa vie, alors qu’il est interné dans un hôpital américain pour une intervention mineure, hôpital dans lequel il mourra de « malnutrition et d’inanition dues à des problèmes de personnalité », après avoir refusé de manger quoi que ce soit, de peur d’être empoisonné. Dès son admission, la diététicienne de l’hôpital, Mary Pearson prend l’obstination du vieil homme extrêmement maigre comme un défi personnel : elle doit le faire manger, quitte à le convaincre avec ses propres armes, la logique. Le paradoxe du plus grand logicien au monde, « le nouveau Aristote », qui refuse de se nourrir jusqu’à en mourir de peur de mourir empoisonné, l’obsède. Toutefois, elle n’y arrivera pas puisque, selon le théorème de l’incomplétude, certaines propositions ne peuvent être prouvées par la raison : par exemple, il est impossible de convaincre un paranoïaque qu’il n’a aucune raison de se sentir persécuté. À cette histoire tragiquement absurde, se greffe l’histoire de Sandra Pearson, la fille anorexique de la diététicienne, dont les troubles alimentaires semblent être directement liés à l’obsession de sa mère. Finalement, s’ajoute à tous ces personnages le professeur David Hilbert, père de la théorie de la complétude, qui vient expliquer au public les bases de la logique, mais se retrouve disqualifié dès lors qu’il apprend que Gödel a su prouver une théorie contraire à celle que lui n’a jamais su prouver.
La forme de cette pièce est fort intéressante puisqu’elle reprend la structure du théâtre épique et de la tradition du storytelling (selon Doxiadis lui-même dans les didascalies initiales) en mettant en scène une actrice qui narre l’histoire tout en incarnant plusieurs personnages secondaires. Ce choix du dramaturge d’utiliser la technique brechtienne, où les personnages représentent les idées qu’ils défendent et où les acteurs abandonnent régulièrement leur personnage pour faire des apartés, permet au public de mieux comprendre qu’il ne s’agit pas d’une pièce biographique fidèle sur Kurt Gödel, mais utilise plutôt le personnage afin de représenter son travail mathématique, ainsi que le paradoxe qu’il incarnait dans la vie. De même pour les autres personnages. Mary Pearson représente le contraire de Gödel, la complétude, puisqu’elle est convaincue que chaque problème a une réponse unique et simple : le corps humain a besoin de nourriture, donc il faut manger. D’un autre côté, Sandra serait plutôt un double de Gödel, mais un double qui se projette dans l’avenir, qui permet l’espoir, puisqu’elle réussit à guérir de son anorexie avant d’en mourir, et ce, grâce à la réflexion que Gödel a pu provoquer chez sa mère. En résumé, cette pièce présente efficacement le personnage de Gödel sans pourtant relater sa vie ou résumer l’ensemble de ses travaux. Elle montre à quel point les travaux du logicien ont une portée philosophique et psychologique importante.