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Kamikaze Mozart
Type de publication:
BookAuteurs:
De Roulet, DanielSource:
Buchet/Chastel, Paris, p.291 (2007)Texte complet:
S’inscrivant sous le double signe de la guerre et de la musique, Kamikaze Mozart est un roman qui se lit comme une interrogation sur les pouvoirs et les limites de l’homme. De l’ouverture, où la narration nous présente une jeune musicienne japonaise étudiant à Berkeley à l’aube de la Seconde Guerre Mondiale, jusqu’aux dernières pages décrivant les funérailles, à Zurich en 1969, du grand physicien suisse M. Flûte (probablement Paul Scherrer), en passant par les hauts plateaux désertiques du Nouveau-Mexique où fut expérimentée la première explosion atomique, ce roman de Daniel De Roulet regorge de petits et de grands questionnements sur les rapports étroits entre la beauté et l’horreur, entre l’intelligence et la folie.
On y rencontre, par l’entremise de personnages fictifs, certains des grands esprits qui ont façonné le XXe siècle, le rendant si bouillonnant, faisant correspondre les plus pures avancées scientifiques de l’histoire avec les plus grandes atrocités. Oppenheimer y est décrit comme un être irascible, déterminé, absolument irrésistible (il sifflote Mozart, parle quinze langues, ses collègues l’appellent « Oppie »), finalement porté vers le doute face aux conséquences de ses travaux. Enrico Fermi (le « pape ») est un dandy qui ressemble plus à un gangster de la Cosa Nostra qu’à un prix Nobel. Plusieurs autres scientifiques sont évoqués, de près ou de loin, en bien ou en mal, toujours à travers le prisme idéologique du protagoniste, le jeune et ambitieux Wolgang Steinamhirsch : ce dernier travaille à Los Alamos, donc du côté du bien, de la démocratie et de la paix universelle, toute relative que sont ces notions. Par exemple, Lise Meitner est du bon côté, alors qu’Heisenberg est le mal en personne.
La trame profonde du roman, articulée autour de cette phrase rhétorique lancée par Oppenheimer : « Votre Mozart nous fera-t-il gagner la guerre? » (p.69), s’étale dans le temps et s’éparpille quelque peu dans des généralités faciles, mais reste pourtant fascinante grâce à quelques épisodes culminants qui illustrent parfaitement les dualismes en jeu. Personnage froid, pragmatique, entièrement dévoué à la « mission patriotique » qu’il s’est vu assigner, Wolgang n’est jamais plus près d’une certaine vérité humaine que lorsqu’il sombre dans un état de contemplation à la fois mélancolique et lucide. À lire ces superbes pages sur l’essai « Trinity », où encore celles qui ferment le livre, alors qu’Heisenberg fait éclater la bulle de sa conscience sans taches, on comprend que, si Mozart ne fera jamais gagner la guerre, cet « atome » qui a permis d’y mettre fin n’est ni plus ni moins trompeur et innocent qu’une de ses belles mélodies. Pour Daniel De Roulet, on fredonnera Mozart quand on découvrira la « fission », on le sifflera au moment d’activer le premier réacteur nucléaire. Et l'on jouera ses sonates à 11 heures 2 minutes du matin, le 9 août 1942, dans une ville du Japon impérial.