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Semmelweis
Type de publication:
BookAuteurs:
Céline, Louis-FerdinandSource:
Gallimard, Paris, p.128 (1999)Texte complet:
Le Semmelweis de Céline pose un problème d’ordre générique. Si le hors-texte nous renseigne sur la nature de l’ouvrage (il s’agit de la thèse de doctorat que l’auteur a soutenu en 1924) et comporte en tout point l’appareillage académique propre à ce type de document (une adresse aux membres du jury inaugure le récit), le texte lui-même, dès son incipit, nous plonge dans une biographie romancée de « La vie et l’œuvre de Philippe Ignace Semmelweis ». La narration ne joue aucunement la carte de l’objectivité et ce, malgré le genre rigide dans lequel elle se déploie : on entend ainsi très clairement la voix et le style de Céline, qui raconte la vie du savant de son propre point de vue. Il juge littéralement l’existence de Semmelweis, fustige la médecine en général. À l’image idyllique du personnage scientifique, l’auteur de Voyage au bout de la nuit oppose donc sa vision cynique de la discipline médicale.
Reprenant la chronologie, Céline présente la vie du médecin, de sa naissance à Budapest à sa mort, dans des conditions pathétiques. Nous suivons, par le biais des commentaires de Céline, les raisonnements qui mèneront Semmelweis à pointer la découverte de l’antisepsie, concept totalement inconcevable pour les scientifiques du milieu du XIXe siècle. Travaillant comme assistant en obstétrique, Semmelweis cherche à comprendre pourquoi le taux de mortalité est aussi dévastateur chez les mères venant d’accoucher (les décès atteindront 96 % dans la clinique du docteur Klin). Après observations, tâtonnements, Semmelweis met le doigt sur le problème sans pour autant formuler la révolution que Pasteur théorisera quelques décennies plus tard : il réalise que les étudiants, passant de la morgue à la maternité, manipulant tour à tour cadavres et jeunes mamans, infectent les patientes par le biais de « particules cadavériques ». En leur suggérant de se laver les mains avant de manipuler les jeunes mères, Semmelweis éradiquera la mortalité. Malheureusement, le corps médical marginalisera la pratique proposé par le médecin, refusant d’adhérer à ce qui apparaît de l’ordre des superstitions.
La cruauté du destin de Semmelweis, véritable martyr de la science, alimente la plume de Céline dont la représentation du médecin hongrois prend diverses formes : à la fois génie, saint, maladroit, idiot et innocent, Semmelweis apparaît surtout comme un scientifique qui, conscient des limites offertes par les paradigmes de son temps, semble tragiquement incapable de s’en abstraire pour ainsi en formuler de nouveaux.