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E=Mc2
Type de publication:
Book ChapterAuteurs:
Boulle, PierreSource:
Récits, Julliard, Paris, p.139-238 (1957)Texte complet:
Malgré la présence d’Einstein (qui a tous les attributs mythiques du personnage), c’est un autre physicien qui impose ici l’attention. Dans cette novella, récit allégorique qui prend l’allure d’une farce macabre, E=mc2 devient une nouvelle religion. Sous le fascisme, adhérer à la formule se révèle aussi lourd de sens que devenir chrétien au début de notre ère. Cette religion aura son martyr : Enricho Luchesi, physicien italien qui gagnera le Nobel et fuira le fascisme.
Pour démontrer que l’énergie est transformable en matière, Luchesi décide d’en créer, en allant la chercher dans les étoiles. L’énergie des vibrations cosmiques provient d’une destruction de la matière. « Cette énergie aujourd’hui diffuse, rendue inutilisable à la suite de catastrophes cosmiques, je me propose de la condenser, de la métamorphoser de nouveau suivant la formule d’Einstein, pour la ramener à son état premier. » (p. 185-186) Il s’attelle à cette tâche, avec l’appui des scientifiques du monde libre. Einstein prend connaissance de ces travaux et, enthousiaste lui-même, réussit à convaincre le président américain de les financer.
La première expérience publique de création de la matière est provoquée au Japon, dernier pays en guerre, dans le but de faire naître un effet choc à travers une manifestation de paix constructive. Le choix s’arrête sur la ville d’Hiroshima. On espère la présence de tous les citadins pour profiter du spectacle. La matière qui descend vers le sol prend la forme d’un pétale, hypnotisant la population.
La réaction en chaîne ne se fait pas attendre. Les copeaux se multiplient et, au grand étonnement des scientifiques, se matérialisent en fleurs. La population d’Hiroshima accueille d’abord avec enthousiasme ce signe de paix venu du ciel, mais la pluie de fleurs ne cesse de se déployer. Peu à peu le peuple entier est noyé sous les fleurs synthétiques, cette couche «d’uranium positif», et meurt sous ce nuage qui cache le soleil de manière aussi nette que le feront, dans la réalité, les effets du champignon atomique.
Le constat d’ironie est assez terrible. Malgré la pureté des intentions des scientifiques (incluant Einstein), les résultats sont aussi terribles que ceux qui existèrent dans la réalité, en août 1945.
Si le message est un peu grossier, il reste que la réflexion sur la science est intéressante. D’une lecture agréable, ce texte est accessible à tous les publics et peut permettre d’amorcer d’intéressantes discussions, dans une classe par exemple, en plus de donner l’occasion de contextualiser les événements qui ont entouré le projet Manhattan et le bombardement des deux villes japonaises.