Rubriques
Fritz Haber. L'esprit du temps
Type de publication:
BookAuteurs:
Vandermeulen, DavidSource:
Éditions Delcourt, Volume 1, Paris, p.156 (2005)Texte complet:
Le premier tome de cette bande dessinée biographique raconte la vie du chimiste juif allemand Fritz Haber et de sa femme également chimiste, Clara Immerwahr, entre 1888 et 1906. L’album débute par un prologue se déroulant en 1934, quelques jours avant sa mort, où on peut voir un Fritz Haber vieilli qui, lors d’une promenade dans la forêt suisse hivernale, se rappelle son passé. La suite est globalement chronologique et débute à Breslau en 1888, alors que le jeune Fritz, étudiant en chimie à l’Université de Berlin, visite son père et sa fiancée dans sa ville natale. Dès le départ, la tension qu’entraîne la judéité des Haber est palpable et source évidente de conflit. La deuxième partie montre comment Fritz s’est vu refuser l’entrée à l’Université de Leipzig en 1891 à cause de son nom juif (son nom complet est Fritz Jacob Haber), comment il a travaillé pour l’entreprise paternelle jusqu’à ce qu’il soit renvoyé aux études à la suite d’un fiasco financier qu’il a provoqué. À Iena, en 1892, Fritz se fait baptiser et devient protestant. Son père refuse de le revoir. La troisième partie se déroule presque dix ans plus tard, à Fribourg, en 1901. Clara est la première femme à être reçue à l’Université de Breslau et elle présente une conférence au congrès scientifique, congrès qui permet les retrouvailles entre Fritz (qui a de la difficulté à se faire une place dans le milieu universitaire), Clara et d’autres savants avec qui ils ont jadis étudié. À la sortie d’une réception, Fritz accepte de signer le shekel du parti sioniste. Un an plus tard, il part pour les États-Unis et rencontre le fils du célèbre industriel juif allemand Rathenau. À la même époque, le congrès sioniste rejette la solution de l’Ouganda proposée par l’Angleterre. Ce premier tome se termine donc en 1906, alors que Clara est découragée d’avoir dû abandonner sa carrière de chimiste universitaire pour s’occuper de leur enfant et que Haber tente de trouver du financement pour ses travaux sur l’ammoniac de synthèse qui pourrait fixer l’azote dans les champs allemands (découverte pour laquelle il obtiendra 12 ans plus tard le prix Nobel de chimie).
Bien que cette bande dessinée ait des prétentions purement biographiques (et non fictionnelles), l’esthétisme en est tellement étudié, qu’il paraît pertinent de l’inclure ici. Il s’agit en effet d’une très bonne bande dessinée, mais trop peu liée à la science et au personnage de scientifique. Presque tout l’accent est mis sur la judéité d’Haber, et très peu sur ses recherches en chimie. Peut-être que les autres tomes le feront davantage. Le côté graphique est sublime et imite le style des films muets allemands de cette époque en utilisant des images monochromes dans les teintes de sépia, ensuite délavées, des sous-titres plutôt que des phylactères pour les dialogues et des intertitres sur fond noir pour la narration (il y a malgré tout peu de texte). Beaucoup de citations d’auteurs très variés (Thomas Carlyle, Ernst Moritz Arndt, Theodor Herzl, Goethe, Dante, Wagner, Schiller, etc.) viennent ponctuer le texte et donner le ton de l’idéologie ambiante en Allemagne, autant pour ce qui est de l’antisémitisme que du sionisme et du nationalisme.