Rubriques
Augustino et le choeur de la destruction
Type de publication:
BookAuteurs:
Blais, Marie-ClaireSource:
Boréal, Montréal, p.301 (2005)Texte complet:
L’histoire se déroule sur une île d’Amérique du Sud qui abrite une pléthore de personnages. L’évolution générale de l’univers déployé apparaît difficile à décrire en peu de mots, tant les acteurs, les actions, les figures, les motifs, les thèmes et leurs recoupements sont nombreux. La densité de l’œuvre, et sans doute aussi son intérêt d’un point de vue littéraire, tient d’ailleurs à la complexité, mais aussi à la grande précision de la mécanique narrative. Celle-ci établit une multitude de croisements entre les personnages fictifs ou historiques, les lieux et les temps, relevant du coup le défi stylistique de livrer le destin de chacun des personnages en une poignée de phrases (une trentaine, tout au plus, forment un roman de 300 pages). La plupart des critiques l’auront souligné : dans Augustino, la phrase de Marie-Claire Blais paraît inépuisable.
Dans le premier quart de l’œuvre, Marie Curie fait largement sentir son auguste présence. Le parcours accompli en tant que pionnière de la physique et de la chimie modernes y est abondamment commenté et célébré. La dame apparaît comme une véritable championne de l’abnégation, comme l’incarnation même du sacrifice de soi au profit de la connaissance. Néanmoins, le caractère exemplaire de son existence sera parfois nuancé, notamment par le personnage de Mère, qui tantôt verra dans les rapports parfois difficiles de Curie avec ses jeunes enfants le reflet de ses propres erreurs commises, jadis, lorsqu’elle élevait sa fille Mélanie. La grande science n’étant pas sans prix, la romancière veut éclairer, sous les sommets de la gloire, les aspérités de la vie interpersonnelle, les brèves errances dont sont victimes jusqu’aux plus grand(e)s de ce monde, la petite misère psychologique et cette culpabilité domestique que l’on sait inhérente à la maternité.
Mais la figure historique de Marie Curie sert dans le roman un dessein plus vaste encore. À l’instar de toutes les autres héroïnes du Savoir, de l’Art ou de l’Émancipation sociale qui abondent en ces pages, la scientifique tend surtout à personnifier, sur fond de catastrophisme philosophique un peu nauséeux, les valeurs contemporaines d’ouverture à l’autre. En effet, dans le tout récent effort du « plus grand écrivain vivant né au Québec », comme le prétend un journaliste, la reconnaissance des homosexuelLEs, des ressortissantEs du tiers-monde, des junkiEs, prostituéEs et autres laisséEs-pour-compte semble, conjointement à une certaine poétique de la fragilité, érigée en programme idéologique. Et cela pose problème, nommément parce que le lecteur n’a affaire ni à une brochure gouvernementale, ni à une charte des droits, mais bien à une œuvre littéraire.